Une partie de nous-mêmes, de ce que nous donnons aux autres, de ce que les autres nous donnent d'eux-mêmes est fait des histoires que nous racontons, écoutons, lisons ou écrivons. Qu'elles soient réelles ou fictives, simples ou complexes, drôles ou tragiques, limpides ou franchement hermétiques, ces histoires nous façonnent et dessinent nos identités. Dans n'importe quelle partie du monde, chacun évolue dans un quotidien composé de mythes collectifs ou personnels, échangés, consignés, transformés, conservés...

 

La narratologie, science de la narration initiée par les formalistes russes puis développée par Gérard Genette dans «Discours du récit», cherche à rendre compte des structures communes aux multiples et diverses formes de récits, des comptines les plus simples aux oeuvres romanesques les plus exigeantes, en partant de la distinction fondamentale entre le récit (ce qui se donne à lire ou entrendre) l'histoire (la succession d'événements réels ou fictifs à raconter) et la narration (l'acte de raconter pris en lui-même).

 

Sommaire

Voix

Dans tout récit, la narration est assumée par une voix première, de premier degré, qui se situe dans un temps souvent postérieur aux événements racontés. Dans la majeure partie des cas, le moment où s'exprime le narrateur importe peu dans la marche du récit mais il arrive parfois que l'écriture du texte s'inscrive dans le temps de l'histoire et puisse avoir son importance. C'est le cas notamment des récits dans lesquels le narrateur se présente comme un auteur, assis à sa table de travail et en train d'écrire ce que le lecteur a sous les yeux.

A l'intérieur de ce récit de premier niveau, la narration peut être assumée par d'autres voix qui prennent elles-mêmes en charge une partie du récit, lors d'un dialogue, par l'intermédiaire d'une lettre, etc. On dira alors que le personnage devient un narrateur de second degré, qui appartient à l'histoire.

On peut dès lors faire une distinction entre un narrateur extradiégétique, de premier niveau et un narrateur intradiégétique, de second niveau.

 

Un narrateur peut par ailleurs raconter une suite d'événements qui lui sont arrivés. Il s'exprimera en je. Le temps qui sépare le je qui raconte et le je dont l'histoire est racontée peut être plus ou moins étendu voire parfois inexistant. 

Il est à l'inverse possible au narrateur de raconter une histoire d'où il est lui-même absent.

On qualifie d'homodiégétique le narrateur qui raconte sa propre histoire et d'hétérodiégétique celui qui raconte une histoire qu'il n'a pas lui-même vécue.

 

On peut donc mettre en évidence quatre cas de figure différents  :

  Narrateur extradiégétique
Narrateur intradiégétique
Narrateur hétérodiégétique Un narrateur de premier degré raconte une histoire d'où il est lui-même absent Un personnage raconte une histoire qu'il n'a pas vécue.
Narrateur homodiégétique Un narrateur de premier degré raconte une histoire qu'il a lui-même vécue. Un personnage raconte une histoire qu'il a lui-même vécue

 

 

Il pouvait être cinq heures, cinq heures et demie, lorsque Gunther Beckenfür, qui était occupé à rafistoler le toit de son abris de berger, sur le Revers du Bourenkopf, aperçut sur la route qui vient de la frontière, et sur laquelle depuis la fin de la guerre on ne voit jamais rien, où personne ne va plus, où personne n’aurait l’idée d’aller, jamais, un curieux équipage.

« Ça allait d’un vrai train de lenteur », c’est lui qui me parle, à ma demande, pour que je puisse noter tous les mots qu’il me dit sur un carnet, je dis bien tous les mots. On est chez lui. Il m’a servi un verre de bière. J’écris. Il mâchouille une cigarette qu’il vient de se rouler, demi-tabac, demi-lichen, et qui, lance dans la pièce une puanteur de corne brûlée. Dans un coin, il y a son vieux père, la mère est morte depuis beau temps. Le vieux se parle tout seul, dans le gargouillis de sa mâchoire où il ne reste plus que deux ou trois dents, tout en secouant continuellement sa frêle tête d’étourneau à la façon des angelots à pièce des églises. Au dehors, la neige s’est mise à tomber. La première neige, celle qui réjouit les enfants et dont la neuve blancheur aveugle. On la voit venir parfois près de la fenêtre, en curieuse, comme des centaines d’yeux tournés vers nous, puis repartir effarouchée à grandes brassées vers la rue.

« Ça avançait à peine, comme si le bonhomme charriait à lui seul un lot de bornes en granit. Je me suis même arrêté pour scruter longuement, voir si je ne rêvais pas, non, je ne rêvais pas, je voyais bien quelque chose, mais je ne savais pas encore quoi, des bêtes perdues j’ai pensé dans un premier temps, ou des gens égarés, ou encore des vendeurs de je ne sais quoi, parce que maintenant je me rendais bien compte que c’était un peu humain tout de même cette affaire-là.[...]»

Dans cet extrait, tiré du Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, Le récit de premier degré est d'abord assumé par un narrateur absent de l'histoire. On a donc affaire à un narrateur extradiégétique et hétérodiégétique qui raconte l'histoire de Gunther Beckenfür.

Ensuite, Ce même narrateur change de temps et raconte, toujours dans le récit de premier degré, comment il récolte le témoignage de Gunther Beckenfür. Il devient donc un narrateur extradiégétique et homodiégétique puisque il est présent dans la scène qu'il décrit.

Enfin, le récit de Gunther est repris tel qu'il a été prononcé, de façon directe, comme en témoigne l'usage des guillemets. On entre donc dans une narration de second degré et le personnage devient donc un narrateur intradiégétique et homodiégétique parce qu'il raconte ce qu'il a lui-même vécu.

Exercice

Questions de voix (en image)

Durée

S'il est difficile de mesurer la vitesse d'un récit, en particulier s'il relève de l'écrit, on peut tout de même en donner une idée dans le rapport qu'entretient le récit avec les événements qu'il rapporte. Ainsi, on parlera de scène lorsque la durée des événements relatés équivaut exactement au temps qu'il a fallu au narrateur pour le raconter. Les écritures théâtrales ou cinématographiques sont celles qui mettent le mieux en évidence le phénomène.

Il arrive que les événements relatés couvrent une durée plus longue que celle dont a eu besoin le narrateur pour les exprimer. On appelle sommaire cette accélération du récit qui permet de raconter en peu de mots une période plus ou moins longue.

On appelle ellipse, l'omission de la part du narrateur d'une période plus ou moins étendue, soit parce qu'elle ne présente pas d'intérêt particulier dans l'évolution de l'intrigue, soit parce que le procédé permet de créer un effet.

Exercice

Questions de vitesse 

Ordre

Dans tout texte narratif, deux ordres temporels coexistent. Le premier lié au temps du récit correspond à la succession des différentes parties du texte et s'articule en paragraphes, chapitres, parties, volumes,... Le second lié au temps de l'histoire correspond à la chronologie des événements racontés.

Il est fréquent que l'ordre du récit ne soit pas calqué sur la chronologie des événements. L'intérêt d'un texte réside même bien souvent dans la rupture de la chronologie. Un récit policier, par exemple, ne dévoilera qu'au terme d'une enquête les événements qui ont abouti à un crime alors qu'ils lui sont antérieurs.

Deux phénomènes textuels sont particulièrement intéressants. Dans le cours du récit, il peut arriver que le narrateur fasse un saut temporel dans le passé, revienne sur des événements plus ou moins lointains. On appelle analepse ce premier procédé. Le second, la prolepse, consiste en un mouvement inverse à savoir une anticipation par rapport au cours du récit.

L'exemple suivant tiré d'A la recherche du temps perdu de Marcel Proust met en évidence ces deux mouvements temporels :

L’angoisse que je venais d’éprouver, je pensais que Swann s’en serait bien moqué s’il avait lu ma lettre et en avait deviné le but ; or, au contraire, comme je l’ai appris plus tard (prolepse), une angoisse semblable fut le tourment de longues années de sa vie (analepse), et personne aussi bien que lui peut-être n’aurait pu me comprendre.

Exercice

Questions d'ordre

Points de vue

Des hommes errent des jours durant dans le brouillard de la myopie du rhinocéros, certains n’en ressortent jamais, ...

— Eric Chevillard

 

 Dans un récit, le dire est la plupart du temps associé à un voir. En effet, parler d'un chose c'est avant tout dire ce que je perçois de cette chose. En associant un nom à un adjectif, on donnera déjà une coloration particulière à une chose et on la liera à une subjectivité.

L'intérêt de la littérature est de ne pas faire coïncider le point d'émergence de la parole et le foyer perceptif d'une action. Autrement dit, celui qui parle n'est pas toujours celui qui perçoit.

Trois types de points de vue peuvent donc être dégagés :

On parle de focalisation interne lorsque toutes les marques de perceptions, les sensations et les sentiments présents dans un texte semblent appartenir à un personnage qui participe à l'action. Il en résulte que le savoir du lecteur ou du spectateur sur une situation se limite à ce que perçoit le personnage.

On parle de focalisation externe lorsque le foyer perceptif appartient à un foyer perceptif qui ne participe pas à l'action. Le savoir du lecteur, à l'image de celui du narrateur, semble être inférieur à celui des personnages en action. Tout ce qui dépasse le cadre strict de l'action, motivations et sentiments, ne pourra être l'objet que de suppositions.

A l'inverse, la focalisation zéro désigne l'absence de point de vue ou au contraire sa multiplication.

Exercices

Questions de points de vue (en images)

Questions de points de vue (dans le texte)

 

 Exercice récapitulatif