Comme dans l'exercice précédent consacré au point de vue narratif au cinéma, les extraits de textes choisis pour cet exercice ont tous pour décor une maison. Les deux premiers sont des descriptions d'appartements du fameux immeuble de la vie mode d'emploi de Georges Perec. Le dernier évoque la première apparition à sa fenêtre de Madame de Chasteller dont tombera amoureux Lucien Leuwen, le personnage éponyme du roman de Stendhal.

 

fiche d'exercice

 

 

Dans chacun des textes suivants, déterminez le type de point de vue adopté par le narrateur et relevez les indices textuels sur lesquels vous vous fondez pour répondre.

 

Texte 1

Le grand salon de l'appartement du troisième droite pourrait offrir les images classiques d'un lendemain de fête.

C'est une vaste pièce aux boiseries claires, dont on a roulé ou repoussé les tapis mettant en évidence un parquet délicatement cloisonné. Tout le mur du fond est occupé par une bibliothèque de style Regency dont la partie centrale est en réalité une porte peinte en trompe-l'oeil. Par cette porte, à demi ouverte, on aperçoit un long corridor dans lequel s'avance une jeune fille d'environ seize ans qui tient dans sa main droite un verre de lait.

Dans le salon, une autre jeune fille - peut-être est-ce à elle qu'est destiné ce verre réparateur – est couchée, endormie, sur un divan recouvert de daim gris : enfouie au milieu des coussins, à demi recouverte par un châle noir brodé de fleurs et de feuillage, elle apparait vêtue seulement d'un blouson de nylon manifestement trop grand pour elle.

Par terre, partout, les reste du raout : plusieurs chaussures dépareillées, une longue chaussette blanche, une paire de collants, un haut-de-forme, un faux nez, des assiettes de carton, empilées, froissées ou isolées, pleines de déchets [...]

On peut déduire de l'apparence générale de la pièce que la fête fut somptueuse, et peut-être même grandiose, mais qu'elle ne dégénéra pas : quelques verres renversés, quelques roussissures de cigarettes sur les coussins et les tapis, pas mal de taches de graisse et de vin, mais rien de vraiment irréparable, sinon un abat-jour de parchemin qui a été crevé, un pot de moutarde forte qui a coulé sur le disque d'or d'Yvette Horner, et une bouteille de vodka qui s'est cassée dans une jardinière contenant un fragile papyrus qui ne s'en remettra sans doute jamais.

Extrait de La vie mode d'emploi de Georges Perec

+ - Perec 1 (Corrigé)

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Le grand salon de l'appartement du troisième droite pourrait offrir les images classiques d'un lendemain de fête.

C'est une vaste pièce au boiseries claires, dont on a roulé ou repoussé les tapis, mettant en évidence un parquet délicatement cloisonné. Tout le mur du fond est occupé par une bibliothèque de style Regency dont la partie centrale est en réalité une porte peinte en trompe-l'oeil. Par cette porte, à demi ouverte, on aperçoit un long corridor dans lequel s'avance une jeune fille d'environ seize ans  qui tient dans sa main droite un verre de lait.

Dans le salon, une autre jeune fille - peut-être - est-ce à elle qu'est destiné ce verre réparateur est couchée, endormie, sur un divan recouvert de daim gris : enfouie au milieu des coussins, à demi recouverte par un châle noir brodé de fleurs et de feuillage, elle apparait vêtue seulement d'un blouson de nylon manifestement trop grand pour elle.

Par terre, partout, les reste du raout : plusieurs chaussures dépareillées, une longue chaussette blanche, une paire de collants, un haut-de-forme, un faux nez, des assiettes de carton, empilées, froissées ou isolées, pleines de déchets [...]

On peut déduire de l'apparence générale de la pièce que la fête fut somptueuse, et peut-être même grandiose, mais qu'elle ne dégénéra pas : quelques verres renversés, quelques roussissures de cigarettes sur les coussins et les tapis, pas mal de taches de graisse et de vin, mais rien de vraiment irréparable, sinon un abat-jour de parchemin qui a été crevé, un pot de moutarde forte qui a coulé sur le disque d'or d'Yvette Horner, et une bouteille de vodka qui s'est cassée dans une jardinière contenant un fragile papyrus qui ne s'en remettra sans doute jamais.

 Extrait de La vie mode d'emploi de Georges Perec

L'ensemble des remarques qui précèdent nous amène à conclure que le texte adopte une focalisation externe.


 

Texte 2

La conversation de madame de Bargeton enivra le poète de l’Houmeau. Les trois heures passées près d’elle furent pour Lucien un de ces rêves que l’on voudrait rendre éternels. Il trouva cette femme plutôt maigrie que maigre, amoureuse sans amour, maladive malgré sa force ; ses défauts, que ses manières exagéraient, lui plurent, car les jeunes gens commencent par aimer l’exagération, ce mensonge des belles âmes. Il ne remarqua point la flétrissure des joues couperosées sur les pommettes, et auxquelles les ennuis et quelques souffrances avaient donné des tons de brique. Son imagination s’empara d’abord de ces yeux de feu, de ces boucles élégantes où ruisselait la lumière, de cette éclatante blancheur, points lumineux auxquels il se prit comme un papillon aux bougies. Puis cette âme parla trop à la sienne pour qu’il pût juger la femme. L’entrain de cette exaltation féminine, la verve des phrases un peu vieilles que répétait depuis long-temps madame de Bargeton, mais qui lui parurent neuves, le fascinèrent d’autant mieux qu’il voulait trouver tout bien. Il n’avait point apporté de poésie à lire ; mais il n’en fut pas question : il avait oublié ses vers pour avoir le droit de revenir ; madame de Bargeton n’en avait point parlé pour l’engager à lui faire quelque lecture un autre jour. N’était-ce pas une première entente ? Monsieur Sixte du Châtelet fut mécontent de cette réception. Il aperçut tardivement un rival dans ce beau jeune homme, qu’il reconduisit jusqu’au détour de la première rampe au-dessous de Beaulieu dans le dessein de le soumettre à sa diplomatie. Lucien ne fut pas médiocrement étonné d’entendre le Directeur des Contributions indirectes se vantant de l’avoir introduit et lui donnant à ce titre des conseils.

                                            Extrait de Illusions perdues d’Honoré de Balzac

+ - Balzac (Corrigé)

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La conversation de madame de Bargeton enivra le poète de l’Houmeau. Les trois heures passées près d’elle furent pour Lucien un de ces rêves que l’on voudrait rendre éternels. Il trouva cette femme plutôt maigrie que maigre, amoureuse sans amour, maladive malgré sa force ; ses défauts, que ses manières exagéraient, lui plurent, car les jeunes gens commencent par aimer l’exagération, ce mensonge des belles âmes. Il ne remarqua point la flétrissure des joues couperosées sur les pommettes, et auxquelles les ennuis et quelques souffrances avaient donné des tons de brique. Son imagination s’empara d’abord de ces yeux de feu, de ces boucles élégantes où ruisselait la lumière, de cette éclatante blancheur, points lumineux auxquels il se prit comme un papillon aux bougies. Puis cette âme parla trop à la sienne pour qu’il pût juger la femme. L’entrain de cette exaltation féminine, la verve des phrases un peu vieilles que répétait depuis longtemps madame de Bargeton, mais qui lui parurent neuves, le fascinèrent d’autant mieux qu’il voulait trouver tout bien. Il n’avait point apporté de poésie à lire ; mais il n’en fut pas question : il avait oublié ses vers pour avoir le droit de revenir ; madame de Bargeton n’en avait point parlé pour l’engager à lui faire quelque lecture un autre jour. N’était-ce pas une première entente ? Monsieur Sixte du Châtelet fut mécontent de cette réception. Il aperçut tardivement un rival dans ce beau jeune homme, qu’il reconduisit jusqu’au détour de la première rampe au-dessous de Beaulieu dans le dessein de le soumettre à sa diplomatie. Lucien ne fut pas médiocrement étonné d’entendre le Directeur des Contributions indirectes se vantant de l’avoir introduit et lui donnant à ce titre des conseils.

Extrait de Illusions perdues d’Honoré de Balzac

L'ensemble des remarques qui précèdent nous amène à conclure que le texte adopte une focalisation zéro.

 


 

Texte 3

Lucien leva les yeux et vit une grande maison, moins mesquine que celles devant lesquelles le régiment avait passé jusque-là ; au milieu d'un grand mur blanc, il y avait une persienne peinte en vert perroquet. "Quel choix de couleurs voyantes ont ces marauds de provinciaux !"

Lucien se complaisait dans cette idée peu polie lorsqu'il vit la persienne vert perroquet s'entrouvrir un peu ; c'était une jeune femme blonde qui avait des cheveux magnifiques et l'air dédaigneux : elle venait voir défiler le régiment. Toutes les idées tristes de Lucien s'envolèrent à l'aspect de cette jolie figure ; son âme en fut ranimée. Les murs écorchés et sales des maisons de Nancy, la boue noire, l'esprit envieux et jaloux de ses camarades, les duels nécessaires, le méchant pavé sur lequel glissait la rosse qu'on lui avait donné, peut-être exprès, tout disparut. Un embarras sous une voûte, au bout de la rue, avait forcé le régiment à s'arrêter. La jeune femme ferma sa croisée et regarda, à demi cachée par le rideau de mousseline brodée de sa fenêtre. Elle pouvait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Lucien trouva dans ses yeux une expression singulière ; était-ce de l'ironie, de la haine, ou tout simplement de la jeunesse et une certaine disposition à s'amuser de tout ?

Le second escadron, dont Lucien faisait partie, se remit en mouvement tout à coup : Lucien les yeux fixés sur la fenêtre vert perroquet, donna un coup d'éperon à son cheval, qui glissa, tomba et le jeta par terre.

Extrait de Lucien Leuwen de Stendhal

+ - Stendhal (Corrigé)

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Lucien leva les yeux et vit une grande maison, moins mesquine que celles devant lesquelles le régiment avait passé jusque-là ; au milieu d'un grand mur blanc, il y avait une persienne peinte en vert perroquet. "Quel choix de couleurs voyantes ont ces marauds de provinciaux !"

Lucien se complaisait dans cette idée peu polie lorsqu'il vit la persienne vert perroquet s'entrouvrir un peu ; c'était une jeune femme blonde qui avait des cheveux magnifiques et l'air dédaigneux : elle venait voir défiler le régiment. Toutes les idées tristes de Lucien s'envolèrent à l'aspect de cette jolie figure ; son âme en fut ranimée. Les murs écorchés et sales des maisons de Nancy, la boue noire, l'esprit envieux et jaloux de ses camarades, les duels nécessaires, le méchant pavé sur lequel glissait la rosse qu'on lui avait donné, peut-être exprès, tout disparut. Un embarras sous une voûte, au bout de la rue, avait forcé le régiment à s'arrêter. La jeune femme ferma sa croisée et regarda, à demi cachée par le rideau de mousseline brodée de sa fenêtre. Elle pouvait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Lucien trouva dans ses yeux une expression singulière ; était-ce de l'ironie, de la haine, ou tout simplement de la jeunesse et une certaine disposition à s'amuser de tout ?

Le second escadron, dont Lucien faisait partie, se remit en mouvement tout à coup : Lucien les yeux fixés sur la fenêtre vert perroquet, donna un coup d'éperon à son cheval, qui glissa, tomba et le jeta par terre.

Extrait de Lucien leuwen de Stendhal

 

L'ensemble des remarques qui précède nous amène à conclure que le texte adopte une focalisation interne.

 


 

 Texte 4

La salle d'attente du Docteur Dinteville. Une pièce assez vaste, rectangulaire, avec un parquet à point de Hongrie, et des portes capitonnées de cuir. Contre le mur du fond, un grand divan recouvert de velours bleu ; un peu partout, des fauteuils, des chaises à dossier lyre, des tables gigogne avec divers magazines et périodiques étalés : sur la couverture de l'un d'eux, on voit une photographie en couleur de Franco sur son lit de mort, veillé par quatre moines agenouillés qui semblent tout droit sortir d'un tableau de de La tour ; contre le mur de droite, un bureau gainé de cuir sur lequel il y a un plumier Napoléon III en carton bouilli avec des petites incrustations d'écailles et de fines arabesques dorées, et, sous son globe de verre, une pendule arrêtée à deux heures moins dix.

Il y a deux personnes dans la salle d'attente. L'une est un vieillard d'une maigreur extrême, un professeur de français retraité qui continue à donner des cours par correspondance et qui attend son tour en corrigeant avec un crayon finement taillé un paquet de copies. [...] L'autre n'est pas malade : c'est un représentant en installations téléphoniques que le docteur Dinteville a convoqué en fin de journée pour qu'il lui montre ses nouveaux modèles de répondeurs enregistreurs. Il feuillette une des publications qui jonchent le petit guéridon à côté duquel il est assis: un catalogue d'horticulteur dont la couverture représente les jardins du temple Suzaku à Kyoto

Extrait de La vie mode d'emploi de Georges Perec

+ - Perec 2 (Corrigé)

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La salle d'attente du Docteur Dinteville. Une pièce assez vaste, rectangulaire, avec un parquet à point de Hongrie, et des portes capitonnées de cuir. Contre le mur du fond, un grand divan recouvert de velours bleu ; un peu partout, des fauteuils, des chaises à dossier lyre, des tables gigogne avec divers magazines et périodiques étalés : sur la couverture de l'un d'eux, on voit une photographie en couleur de Franco sur son lit de mort, veillé par quatre moine agenouillés qui semblent tout droit sortir d'un tableau de de La tour ; contre le mur de droite, un bureau gainé de cuir sur lequel il y a un plumier Napoléon III en carton bouilli avec des petites incrustations d'écailles et de fines arabesques dorées, et, sous son globe de verre, une pendule arrêtée à deux heures moins dix.

Il y a deux personnes dans la salle d'attente. L'une est un vieillard d'une maigreur extrême, un professeur de français retraité qui continue à donner des cours par correspondance et qui attend son tour en corrigeant avec un crayon finement taillé un paquet de copies. [...] L'autre n'est pas malade : c'est un représentant en installations téléphoniques que le docteur Dinteville a convoqué en fin de journée pour qu'il lui montre ses nouveaux modèles de répondeurs enregistreurs. Il feuillette une des publications qui jonchent le petit guéridon à côté duquel il est assis: un catalogue d'horticulteur dont la couverture représente les jardins du temple Suzaku à Kyoto. 

Extrait de La vie mode d'emploi de Georges Perec

 

L'ensemble des remarques qui précèdent nous amène à conclure que le texte adopte une focalisation zéro.