Texte 1

Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
 
Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé ;
Adieu, plaisant Soleil, mon œil est étoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.
 
Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant la face,
 
En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,
Je m’en vais le premier vous préparer la place.

Ronsard, Derniers vers, 1586

 

Texte 2

Je suis d’une taille médiocre, libre et bien proportionnée. J’ai le teint brun, mais assez uni; le front élevé, et d’une raisonnable grandeur; les yeux noirs, petits et enfoncés; et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés. Je serois fort empêché de dire de quelle sorte j’ai le nez fait; car il n’est ni camus, ni aquilin, ni gros, ni pointu, au moins à ce que je crois: tout ce que je sais, c’est qu’il est plutôt grand que petit, et qu’il descend un peu trop bas. J’ai la bouche grande, et les lèvres assez rouges d’ordinaire, et ni bien ni mal taillées. J’ai les dents blanches et passablement bien rangées. On m’a dit autrefois que j’avois un peu trop de menton: je viens de me regarder dans le miroir pour savoir ce qui en est; et je ne sais pas trop bien qu’en juger. Pour le tour du visage, je l’ai ou carré ou ovale; lequel des deux, il me seroit difficile de le dire. J’ai les cheveux noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais et assez longs pour pouvoir prétendre en belle tête.

La Rochefoucauld, Autoportrait, 1659

 Texte 3

LeirisJe viens d'avoir trente-quatre ans, la moitié de la vie. Au physique, je suis de taille moyenne, plutôt petit. J'ai des cheveux châtains coupés court afin d'éviter qu'ils ondulent par crainte aussi que ne se développe une calvitie menaçante. Autant que je puisse en juger, les traits caractéristiques de ma physionomie sont : une nuque très droite, tombant verticalement comme une muraille ou une falaise, marque classique (si l'on en croit les astrologues) des personnes nées sous le signe duTaureau ; un front développé, plutôt bossué, aux veines temporales exagérément noueuses et saillantes. Cette ampleur de front est en rapport (selon les dires des astrologues) avec le signe du Bélier ; et en effet, je suis né le 20 avril, donc aux confins de ces deux signes : le Bélier et le Taureau. Mes yeux sont bruns, avec le bord de paupières habituellement enflammé ; mon teint est coloré ; j'ai honte d'une fâcheuse tendance aux rougeurs et à la peau luisante. Mes mains sont maigres, assez velues, avec des veines très dessinées ; mes deux majeurs, incurvés vers le bout, doivent dénoter quelque chose d'assez faible ou d'assez fuyant dans mon caractère. 

Ma tête est plutôt grosse pour mon corps ; j'ai les jambes un peu courtes par rapport à mon torse, les épaules trop étroites relativement aux hanches. Je marche le haut du corps incliné en avant ; j'ai tendance, lorsque je suis assis, à me tenir le dos voûté : ma poitrine n'est pas très large et je n'ai guère de muscles. J'aime à me vêtir avec le maximum d'élégance ; pourtant à cause des défauts que je viens de relever dans ma structure et de mes moyens qui, sans que je puisse me dire pauvre, sont plutôt limités, je me juge d'ordinaire profondément inélégant ; j'ai horreur de me voir à l'improviste dans une glace car, faute de m'y être préparé, je me trouve à chaque fois d'une laideur humiliante.

Michel Leiris, L’âge d’homme, 1939

 Texte 4

"Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. » Je pense souvent à cette image que je suis seule à voir encore et dont je n’ai jamais parlé. Elle est toujours là dans le même silence, émerveillante.
C’est entre toutes celle qui me plaît de moi-même , celle où je me reconnais, où je m’enchante.
Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue.
À dix-huit ans j’ai vieilli. Je ne sais pas si c’est tout le monde, je n’ai jamais demandé. Il me semble qu’on m’a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu’on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l’ai vu gagner mes traits un à un, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d’en être effrayée j’ai vu s’opérer ce vieillissement de mon visage avec l’intérêt que j’aurais pris par exemple au déroulement d’une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu’un jour il se ralentirait et qu’il prendrait son cours normal. Les gens qui m’avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m’ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l’ai gardé.
Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu’il n’aurait dû. J’ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s’est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J’ai un visage détruit."

Marguerite DURAS, L’Amant, éditions de Minuit, 1984

 Texte 5

 

Et ouais c'est moi Gainsbarre
On me trouve au hasard
Des night-clubs et des bars
Américains c'est bonnard
Ecce homo

On reconnaît Gainsbarre
À ses jeans à sa bar-
Be de trois nuits ses cigares
Et ses coups de cafard
Ecce homo

Bizarre ce Gainsbarre
Il est cool faut croire
Que de tout il en a
rien à cirer enfin faut voir
Ecce homo

Et ouais cloué le Gainsbarre
Au mont du Golgothar
Il est reggae hilare
Le coeur percé de part en part
Ecce homo

Serge Gainsbourg, Ecce Homo, 1981

 

Texte 6

Je suis peut-être maigre comme un stockefishe
Et sans les décoller, je passe derrière les affiches
C'est vrai, il me manque bien quelques kilos
Et quand je suis en maillot, on dirait une radio
Me suis-je fâché, avec tous les chefs?
Ou dans le passé fus-je rapatrié pas l'Unicef?
Je n'en sais rien, sur un Ciao en tout cas
Il faut mettre du poids pour que je ne décolle pas
Pourtant j'ai toujours eu le respect des gonzes
Même si mes jambes sont des 11
Et même si après le Coca Light, le beurre light,
Winston et Hollywood light, je représente l'homme light
Même si je suis épais comme un bâton de polo
Check ce morceau solo où je n'y vais pas molo
Je suis peut-être le contraire d'un gros
Mais putain, qu'est-ce que je tue sur le micro
J'ai peut-être une quinzaine de dents cassées
Et lorsque je souris, je m'apparente à un damier
Ce serait moi qui aurait doublé la bouche de l'acteur
Jacquouille La Fripouille dans le film "Les Visiteurs"
Avec un dégradé du feu de Dieu des Dents
Je ne peux rien mâcher et mastique avec le rang de devant
Difficile de travailler la diction, la prononciation
Avec autant d'aérations
Je n'irai pas jusqu'au point de dire que ma bouche est vraiment
Minable, non, simplement décapotable
Mon dentiste est formel, il a évalué les travaux: bigre!
Pour le gros oeuvre, il vaudrait mieux appeler Bouygues
Quelque part il y a peut-être une raison
Pas comme certains qui ont grandi dans un cocon
Mais laisse! Il me manque peut-être quelque crocs
Mais putain qu'est-ce que je tue sur le micro
J'ai peut-être le tarin de Cyrano
Mais il y a pire que moi, en plus ils font les chauds
Mon frère m'a toujours dit "Attention avec ton syphon
Ne respire pas trop fort ou tu nous déclenches un typhon"
Tu te la joues Scarface, mais ne sniffe jamais
Avec ton nez, c'est une overdose assurée
Je donne l'os au chien si tu te fais opérer
Et quinze jours après, il est toujours en train de ronger
J'ai l'air fin, c'est certain je respire
On délire sur mon sourire avec mes dents en cuir
Si j'étais toi, je ne rirais pas trop
Parce que putain qu'est-ce que je tue sur le micro
Je ne danse pas car j'ai horreur du ridicule
Trop peu pour moi les j'avance, tu recules
et je T'enfonce dans la tête l'idée
Que même si j'étais déchiré, jamais je ne bougerais
C'est pas pour jouer les proxos, kid
Simplement je fais deux pas, et tu crois voir un droïde
Dans les boîtes, je me fais chier pour de bon
Je suis comme E.T.: je veux rentrer maison
Pas même de slow, de baiser gluant
Je reste à la maison pour mater "Le bon, la brute et le truand"
A la danse, peut-être je suis zéro
Mais putain ce que que je tue sur le micro

Akhenaton, Métèque Et Mat, 1997