Objectif de l'exercice :

  • Découvrir la presse quotidienne populaire d'il y a cent ans.
  • Expérimenter l'une des fonctions de la fiction littéraire : laisser l'imaginaire prendre le relai d'une information lacunaire.

Déroulement de l'activité :

1ère étape

Par groupe de deux, les élèves parcourent la presse quotidienne disponible en ligne sur gallica, espace virtuel de la bibliothèque nationale de France, dans le but de choisir un fait divers qui leur paraîtra être un bon moteur de fiction.

Afin que les élèves ne se dispersent pas complètement, l'enseignant leur proposera de consulter d'abord le numéro qui précède exactement de cent ans le jour de leur naissance et de l'explorer à fond. 

2ème étape

Après avoir choisi un fait divers et reçu l'aval de leur enseignant, les élèves rédigent une courte nouvelle dans laquelle l'article du petit Parisien apparaîtra comme un élément de l'histoire.

 

Un exemple

Voici la création de deux élèves de 1ère CFCi, Laurent et Joël, inspirée par un fait divers paru dans le Petit Parisien le 2 mars 1894.

 

 

DRAME EN MER
Trouville, 2 mars. Le bateau de pêche naufragé près d’Ostende, et dont on ignorait le port d’attache, est le Paul-Rose n° 60, de Trouville ; il a fait côte à Mariakerke le 27 février, à huit heures du soir.
Trois des marins qui le montaient ont péri ; c’était les nommés Pierre Serry, du Tréport ; Acken et Somers, sujet belges, habitant Ostende.
Un quatrième, le nommé Henri Pérard, de Calais, qui a eu les pieds et mains gelés, a été transporté à l’hôpital d’Ostende.
le petit parisien, le 2 mars 1894.

C’était un matin comme les autres pour Henri Pérard, 43 ans, pêcheur sur un chalutier, vivant dans une petite maisonnette en bois au bord de la mer, à Trouville. Il était trois heures du matin quand son réveil l’avait fait bondir hors de son lit. Il avait retiré son pyjama et enfilé son vieux pull troué, attaché les bretelles de son pantalon de toile et mis les grosses bottes de cuir qui avaient appartenu à son père.

Il jeta un coup d’œil à son calendrier : « 27 février… Plus que trois jours avant ma paye ! », se dit-il. En sortant de chez lui, l’homme ne put s’empêcher de jeter un regard perdu dans le ciel dégagé et observer les étoiles.

Henri resta un instant la tête en l’air à contempler les sphères au-dessus de lui. Soudain, il aperçut une étoile filante qui devenait de plus en plus grosse à mesure qu'elle traversait le ciel. Non, en fait, elle ne grossissait pas mais s’approchait de la terre à très grande vitesse. Henri la suivit du regard ; elle venait de passer au-dessus de lui à environ 300 mètres du sol. Il la vit s’effacer petit à petit, dans l’obscurité, derrière l'horizon. Il n’était pas sûr de bien avoir vu mais il croyait bien que ce qu’il venait de voir, un instant plus tôt, dans le ciel, s’était écrasé au loin, dans la mer. « Jamais on me croira quand je raconterai ça ! » pensa-t-il.

- Dépêche-toi ! Tu es en retard ! cria Acken, le capitaine du chalutier où travaillait Henri.

- Désolé cap’taine, le pneu de mon vélo a crevé sur la route, rétorqua Henri.

- Je n'veux pas l’savoir ! ça fait vingt minutes qu’on devrait déjà être parti !

Henri posa le vélo au pied d'un petit muret près du ponton. Le chalutier du capitaine Acken faisait  seize mètres de long et six mètres de large et possédait une petite cale (contrairement aux autres chalutiers dans le port).

Quand le bateau de pêche quitta le port, il était environ trois heures du matin. Acken, les mains rivées au gouvernail du navire, alla direction Nord-Est. Le capitaine avait soixante ans et depuis ses débuts, il allait toujours pêcher dans les même eaux et, à chaque fois, il remportait le pactole. Ça lui était même arrivé plusieurs fois de pêcher tant de poissons qu’il n’avait pu leur trouver assez de place dans ses barils et avait été obligé d’en relâcher. S'il y avait bien un endroit où il fallait qu’un  pêcheur se trouvât, c’était avec Acken.

Henri prépara le filet de pêche tandis que Pierre et Somers, les deux autres pêcheurs du chalutier, jouaient au poker dans la cale du bateau. Vers quatre heures du matin, le capitaine immobilisa le bateau.

- Henri, on est arrivé, va chercher les deux fainéants qui sont à la cale ! Ordonna le capitaine.

Une fois le filet à l’eau, Acken mit en marche le moteur et avança avec le navire en imaginant déjà les tonnes de poissons que son filet allait remonter. Pendant ce temps, les trois marins assis chacun sur un baril discutaient en attendant que le capitaine leur donne l’ordre de remonter le filet.

La mer était calme. Il faisait encore très sombre. La seule chose qui éclairait les quatre marins était la lueur de la lune et les quelques lampes du chalutier.

- Remontez le filet ! dit le capitaine d’une voix forte.

Henri actionna la manivelle des rouleaux qui remontèrent doucement le filet. Pierre et Somers étaient prêts à l'ouvrir et remplir les barils de poissons.

- Quoi ? fit Somers les yeux écarquillés.

Le filet était vide. Pas un poisson. Les trois hommes se retournèrent en direction de leur capitaine qui, lui aussi, avait l’air de ne pas comprendre. Jamais l’équipage d’Acken n’était rentré bredouille de cette région.

- Replongez le filet ! dit le capitaine d’une voix tonitruante.

- Tu es sûr que tu t’es pas trompé d’endroit cap’taine ? demanda Pierre.

- Je suis sûr que c'est ici, fit le capitaine en regardant sa boussole, nous sommes bien à 60° Nord-Est à quatre kilomètres de la côte, c’est ici, j’en suis sûr, replongez le filet !

Ils immergèrent quatre fois le filet sans ne jamais rien remonter que des algues, quelques cailloux et deux poissons trop petits pour être vendus.

- On ne va pas rester ici jusqu’au lever du jour, annonça Acken. Henri va me chercher les appâts pour poisson dans la cave. Si ça ne marche pas avec les appâts, on part.

Henri exécuta l’ordre du capitaine. Il entra dans la cave et se mit à chercher les appâts à poisson. On ne voyait pas très bien dans la cave du chalutier parce qu'elle n'était éclairée que par une seule lampe à pétrole, ce qui n’aidait pas Henri à trouver ce qu’il cherchait.

Il sentait le bateau tanguer. « Saletés de vagues ! » marmonna-t-il.

- Alors ça vient ces appâts ? demanda le capitaine depuis l'extérieur.

Henri trouva la caisse en métal qui contenait les appâts et la saisit.

-Je l’ai trouvée mon cap’tai…

Un choc très violent fit voler Henri en l’air et percuter le plafond de plein fouet. Il retomba à genoux sur la caisse en métal, ce qui le fit hurler de douleur. La lampe à pétrole s'était éteinte sous le choc. Le bateau s'était mis à tanguer dans tous les sens. Henri entendit les cris des membres de l’équipage qui étaient restés dehors. Soudain, un bruit assourdissant se fit entendre. Ça ne venait pas du bateau, encore moins de l’équipage mais de quelque chose qui se trouvait à côté du chalutier. Henri resta à terre, serrant ses jambes contre lui. Il tremblait, il transpirait malgré le froid qui régnait dans la cave.

Le chalutier se mit à pencher sur sa droite avant de se stabiliser. Et puis, plus rien, plus un bruit. Un silence inquiétant s'abattit sur le bateau de pêche. Henri resta un instant par terre avant de se décider à bouger. Il posa sa main contre le mur et se releva. Dans l'obscurité, il avançait à tâtons. Sa main toucha une rangée de dents pointues. Il sursauta puis recula. Jamais il n’avait eu si peur. Il était paralysé et commençait à s’imaginer qu’au moindre pas, il se ferait happer violemment par une gueule remplie de dents acérées. Les premières lueurs de l’aube perçaient à travers le hublot de la cave. Henri put alors apercevoir ce qu’il venait de toucher. C’était une grande mâchoire de requin que le capitaine avait suspendue au mur comme trophée. Il soupira puis se mit à marcher lentement en direction de la porte.

- Capt’aine, que s’est-il passé là-haut ? demanda fébrilement le marin en sortant de la cave.

Il n’y avait plus personne sur le chalutier. Le filet était à moitié dans l’eau, le moteur détruit, le mat avait disparu, la moitié de la cabine du capitaine avait été arrachée et six grosses griffures traversaient le pont du bateau. Henri resta silencieux et ne bougea pas. Le jour s'était levé et de petites vagues frappaient la coque du bateau.

- Pierre ! Somers ! appela Henri. Mais personne ne répondit.

Il regarda si le moteur pouvait encore être actionné pour repartir mais c’était perdu d’avance. Henri se pencha sur le rebord du chalutier pour attraper le filet qui était dans l’eau. Soudain, il aperçut le bras tatoué de Somers sortir de l'eau, non loin du bateau.

- Somers! cria-t-il

Henri saisit le bras pour remonter son collègue à la surface mais il n’y avait pas de corps au bout. Henri n'avait dans ses mains que le membre arraché de son camarade. Il hurla en le lâchant dans la mer. Un nouveau choc lui fit perdre pied. Il tomba par terre.

Quelque chose avait touché le bateau. L’homme se colla contre la paroi du chalutier et entendit comme un frottement au-dessous de lui. Quelque chose était juste sous ses pieds. Il ne pouvait plus bouger, paralysé par la peur. Le bateau se remit à pencher. Henri se leva et courut dans la cale sans regarder derrière lui. Un choc beaucoup plus violent que la première fois le fit tomber dans l’escalier du sous-sol où il se cogna la tête et perdit connaissance.

***

Draps propres, coussins bien rembourrés, matelas confortable : Henri se trouvait dans le meilleur lit où il avait jamais dormi. Il ne savait pas comment il était arrivé là, ni où il était. Une bande blanche était enroulée autour de son crâne et il ne portait plus ses vêtements mais une robe de chambre d’hôpital. Le marin regarda autour de lui. Il était dans une petite chambre blanche avec une seule fenêtre et une lampe allumée à son chevet. Près de lui, était suspendue une grosse horloge qui indiquait vingt-deux heures cinquante. Une porte s’ouvrit à côté de lui, laissant apparaitre une femme qui devait avoir la trentaine, habillée en blanc avec un petit chapeau d’infirmière sur la tête.

- Il est réveillé messieurs, dit-elle à deux personnes derrière la porte.

Elle se tourna vers Henri et reprit d’une voix calme :

- Bienvenue à l’hôpital d'Ostende, Monsieur.

Un grand flash passa devant les yeux d'Henri comme si l’infirmière venait de le gifler. Il se rappela. Le bateau détruit, le bras dans l’eau, sa chute dans l’escalier…

- Un… Un monstre nous a atta…, Balbutia Henri.

Deux hommes entrèrent dans la pièce. Le premier était petit avec une barbe impeccablement taillée tandis que l’autre était très grand et portait une mallette dans la main droite. Les deux avaient fière allure dans leurs costumes.

- Veuillez nous laisser, dit le plus petit homme en s’adressant à l’infirmière.

La femme sortit en fermant la porte.

- Bonsoir Henri, dit le plus grand homme, je m’appelle Steven, je suis psychiatre et voici mon équipier Frank qui est un homme du gouvernement français…

- Que me veulent un psy et un homme du gouvernement ? Coupa Henri.

Steven le regarda d’un air glacial et dit :

- C’est nous qui allons poser les questions, Mr Pérard.

Il prit sa mallette et l’ouvrit. Henri y jeta un coup d’œil et put apercevoir beaucoup de dossiers et une photo. Steven prit la photo et la montra à Henri qui reconnut le chalutier sur lequel il travaillait mais toujours intact. Le filet en place comme neuf, la cabine du capitaine était intacte, pas de traces des six grosses griffures.

La seule chose qui frappa l’homme dans son lit était que le bateau était échoué sur des rochers au bord d’une plage.

- Reconnaissez-vous le chalutier sur lequel vous êtes partis pêcher ce matin, Mr Henri Pérard ? interrogea Steven.

- Oui, répondit Henri.

- Pouvez-vous nous dire ce qui s'est passé à bord ? demanda Frank.

- Oui, bien sûr, vous allez voir, ça va vous paraître fou mais je vous promets que c’est la vérité.

Henri raconta tout sans n'oublier aucun détail de son histoire.

Après avoir écouté le marin, Steven dit :

- Voyez-vous, Monsieur Pérard, nous avons un petit problème, je le crains.

- Quel problème ? demanda Henri.

- Le problème, c’est que vous nous dites que votre chalutier a été attaqué par un monstre qui a arraché le mat, détruit le moteur et laissé six grosses traces de griffures, alors que le bateau dans lequel on vous a trouvé inconscient, lui, est intact à part l'impact laissé par les rochers, quand il s'est échoué.

- C’est impossible, dit Henri un ton plus haut.

- Pourtant c’est vrai, regardez la photo. Écoutez-moi bien, Mr Pérard, je vais vous dire ce qui s'est passé sur votre bateau, ce matin. Vous y êtes monté comme tous les matins, une fois que vos collègues se sont mis à pêcher comme vous venez de le dire, vous êtes allé dans la cale, sûrement pour chercher une arme. Une fois sorti, vous avez tué l’équipage de sang froid. Vous avez sûrement balancé les corps à la mer, c’est pour ça que vous parlez d’une main qui sortait de l’eau. Vous vous êtes évanoui après ce que vous avez fait et le chalutier s'est échoué sur les rochers cette nuit vers 20 heures. Il n’y a pas eu de monstre, rien sur le bateau n’a été détruit, vous n’êtes pas resté dans la cale pendant qu'un monstre tuait l’équipage. Tout ça, c’est dans votre tête, parce que vous êtes fou.

- Non, hurla Henri, j’ai vu un monstre…

- L’avez vous vraiment vu ? Coupa Steve. Avez-vous vraiment vu ce fameux monstre ?

- Non… mais…

- Voilà, vous ne l’avez pas vu parce qu’il n’existe que dans votre tête, ce qui explique aussi pourquoi vous êtes le seul survivant sur le bateau. En fait, il y avait bien un monstre, Monsieur, c’était vous !

- Non, je n’ai tué personne et je ne suis pas fou… Henri se leva mais Frank l’attrapa et le plaqua contre le lit.

- Monsieur, reprit Steven d’une voix forte, un fou ne sait pas qui il est, il se croit lucide alors que c’est faux.

Henri, en tentant vainement de se dégager, hurla :

- Regardez si vous trouvez des poissons sur le bateau, on n'a rien pêché c’est pour ça que le capitaine m'a dit de descendre dans la cale pour chercher un appât.

- Les tonneaux étaient remplis de poisson frais, dit Steven.

Henri s’immobilisa. Il était perdu. Steven remis la photo dans sa mallette et s’approcha d’Henri en déclarant :

- Nous avons parlé à vos voisins avant de venir, ils disent tous que vous avez eu depuis un petit moment une attitude étrange.

Steven fit une pause et reprit :

- mais ne vous inquiétez pas, nous pouvons vous soigner.

Steven prit une seringue et la planta dans le bras d’Henri qui s'endormit presque aussitôt.

 

Henri finit ses jours dans l’hôpital psychiatrique de Trouville dans la cellule n°60 et soutint jusqu'à sa mort qu'il n'avait rien à faire là.