Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;

Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libucque et lui baroufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.

 

Il est étonnant, à la lecture de ce Grand Combat d'Henri Michaux, de voir à quel point sont expressifs et évocateurs les mots imaginaires qui composent le poème et combien nous paraît familier cet étrange baragouin. C'est que, sous son apparente nouveauté, ce lexique ne surgit pas ex nihilo : on y retrouve, par bribes, des sonorités françaises qui nous sont connues, qui s'entrechoquent et se lacèrent comme si les mots mêmes étaient au combat.

Ainsi en va-t-il des langues naturelles. A l'image de particules organiques qui se lient et se délient pour former de nouveaux êtres, les mots sont toujours des assemblages de syllabes, de radicaux, préfixe et suffixes qui se répètent d'un mot à l'autre. Et la plupart du temps, en parlant, nous ne remarquons plus cette composition et les parentés qui unissent tels mots avec tels autres.

L'étude du vocabulaire passe donc par l'observation des coutures naturelles de la langue, le repérage des particules élémentaires qui forment les mots, qui leur permettent d'acquérir du sens et de nous raconter leur histoire.

Origines des mots

Une grande partie du lexique français, à l'image de celui des autres langues romanes, est issu du latin oral et populaire, que les Romains ont imposé aux habitants des régions colonisées et qui s'est progressivement transformé à partir de la fin du Ve siècle.

Toutefois, si le latin a fini par s'imposer dans les régions conquises par les Romains, il n'a pu effacer complètement la langue gauloise qui lui préexistait. On nomme substrat celte les traces linguistiques qui ont subsisté sous la langue latine et que l'on retrouve aujourd'hui encore dans une série de termes comme bec, mouton, savon, balais, charrue, sapin ou talus.

La chute de l'Empire romain d'occident et les invasions germaniques ont été l'occasion d'un autre tournant linguistique. Contrairement aux Romains qui avaient imposé le latin dans les régions occupées, les empires germaniques ont laissé se développer les langues en vigueur dans les territoires conquis. La cohabitation entre le latin populaire et les langues germaniques a néanmoins contribué à dessiner la langue française. On nomme superstrat germanique l'influence exercée par les langues germaniques sur le français originel. Des termes comme moufle, banc, franc, guerre, jardin, orgueil, hanche, marcher, riche, soigner ou crampe relèvent par exemple de cette origine.

A côté de ces influences principales, il existe, dans la langue française actuelle, de très nombreux termes empruntés à d'autres dialectes, langues ou argots.

Formation des mots

Chaque génération a une réalité qui lui est propre et une langue adaptée à en rendre compte. Et tout lexique, même très riche, ne suffit pas toujours à évoquer les aspects d'un monde en perpétuel changement. C'est pourquoi, au fil du temps, la langue française, comme toutes les autres, se "débarrasse" de termes inusités et s'enrichit de nouveaux mots.

L'apparition d'un nouveau mot ou d'une nouvelle expression dans la langue suit cependant des processus différents :

a) Le nouveau mot est emprunté à une langue étrangère et son orthographe parfois modifiée.

Le bogue informatique, francisation du mot anglais bug est né d'une péripétie datant de 1945 où un insecte (bug en anglais), on ne peut plus réel, avait provoqué un court-circuit dans les rouages de Mark 1, ancêtre de nos ordinateurs.
La redingote, terme en apparence d'origine latine, n'est autre que la prononciation francisée de l'anglais Riding-coat.

b) Une nouvelle acception est donnée à un terme déjà présent dans la langue par analogie ou métonymie.

Par exemple, "ampoule" issu du latin ampulla (petite fiole à ventre bombé) a désigné en français, par extension du concept, l'ampoule électrique. En allemand, en revanche, c'est sa ressemblance avec une poire (Birne) qui a permis de nommer le nouvel objet.

c) De nouveaux termes ont été créés à partir des racines latines et grecques déjà existantes, par dérivation, ou composition. On parle de composition savante lorsque la formation du terme est le résultat d'une combinaison de racines grecques ou latines.

Par exemple, la télévision est étymologiquement une "vision à distance", la cohabitation veut dire "le fait d'habiter ensemble" ...

d) D'autres termes ont des genèses plus singulières et parfois anecdotiques :

Le budget vient de la pronociation à l'anglaise de la "bougette" terme français désignant une petite bourse.
Le téflon est formé des éléments te de tetra- et fl de fluor (pour abréger la formule savante polytetrafluoroethylene) et de la une finale -on arbitraire.

 

 

Principes de composition

A un radical portant le sens du terme, on ajoute un préfixe apportant une idée supplémentaire ou une nuance de sens. Comme son nom le laisse supposer, le préfixe se placera toujours avant le radical.

Le suffixe, placé après le radical, a plutôt pour fonction de déterminer la nature grammaticale du mot mais peut parfois donner une nuance péjorative ou diminutive à un terme.

 

Principaux préfixes d'origine latine

Préfixe    

Sens

Exemples

 ad- (ac, af, ag, al, an, ap, ar, as, at)   tendance, but, vers    Amincissement, adjoindre
 ant(é)-, anti-  avant      antédiluvien, antidater
 bis-, bi-  deux    bimoteur, bissection
 con-, (co, com, col, cor)  avec  colocataire, compatriote
dé-, dis, des, di)  séparation          défaire, décharger 
 en-, em-  éloignement  emmener, enlever
 entr(e)-, inter-  au milieu, à demi,
réciproquement 
 s'entraider, entrevoir,
intersection
 ex- (é, ef, es)  hors de  exproprier, effeuiller
 in- négation   inexpérimenté, illogique

 

Principaux préfixes d'origine grecque

Préfixe

Sens

Exemples

a-, an-
privation analphabète, amoral
ana-
 renversement anagramme, analogie 
anti-, anté opposition   antialcoolique, antéchrist
cata-  changement catastrophe 
di(s)- double   diptère, dissyllabe
 dys- difficulté   dyslexie, dysfonctionnement
eu- bien  euphémisme, euphorie 
 hyper- au-dessus  hypertrophie, hyperespace
 hypo-  au-dessous hypodermique, hypoglycémie

 

Principaux suffixes 

Suffixe    

Sens

Exemples

-aison, -(a)tion   action    terminaison, anticipation
-ure, -té, -eur,
-itude, -ité
manière d'être, qualité, caractère     imposture, beauté, aptitude, sagacité
-aire, -ien, -er
-eur, -ier
 qui exerce une action, un métier libraire, informaticien, boulanger écolier
 -able, -ible, -uble  qui peut être  capable, imperceptible, soluble